Tu es trop sensible pour faire ce métier de thérapeute. Voilà ce que m’a dit une connaissance en début de cursus de formation Gestalt. Bientôt 5 ans plus tard, je me rends compte à quel point, elle avait tout faux.
La sensibilité est généralement perçue comme une faiblesse, quelque chose de pesant ou même de honteux. Comme un sursaut malheureux et envahissant qu’il faudrait étouffer. La sensibilité, tout comme l’empathie sont trop souvent confondues avec le fait d’absorber les émotions des autres ou encore d’étaler son état intérieur au monde entier. Quelle vision réductrice et erronnée. La sensibilité est la capacité à s’émouvoir, à ressentir en son fort intérieur de l’humanité, à avoir de la tendresse, de la compassion.
A vivre les choses pleinement.
Quel trésor que de savoir ressentir, goûter, palper ses propres émotions. Des papillons dans le ventre au premier rendez-vous à la tristesse d’un aurevoir. Aussi difficile soit l’émotion, c’est elle qui nous dit « tu étais là, tu as vécu». Elle nous rend vivants.
Quel cadeau que de les vivre en conscience, à l’instant T. Quel cadeau que de se l’offrir à soi-même. De se l’autoriser.
J’ai toujours une grande empathie pour les personnes que je rencontre, qui sont coupées de leurs émotions - et donc de leur corps. Raides comme des piques, automatisés dans leurs mouvements. Rien n’est fluide, tout est tassé, retassé au fin fond de leurs cœurs que l’on pourrait croire arides. Ces cœurs qui ne demandent pourtant qu’à palpiter plus fort, ces cœurs prisonniers de ces cages thoraciques rigides et sans respiration.
Quand je reçois des clients, je suis toujours frappée de voir combien on se persuade que tout va bien, quand le corps crie le contraire. Quand le corps se fige dès qu’une émotion pointe le bout de son nez.
Il y a une injonction tacite à gérer ses émotions, comprenez plutôt à les contrôler afin de ne surtout plus les ressentir. Être émotif est mal vu, mal accepté, on nous demande de nous ressaisir, de faire bonne figure et d'arrêter de se montrer en spectacle. Soyez professionnel est la phrase qui m’agace le plus, comme si le monde professionnel était un monde à part, exempt d’émotivité. Il est possible d’être professionnel et de ressentir des choses, là dans le cœur, dans le ventre et cela ne nuit pas à votre professionnalisme.
C'est justement lorsqu'on les réprime qu'elles prennent le contrôle sur nos vies : on devient irritable, colérique, stressé. Les pics de stress sont plus intenses et on perd le contrôle dans les situations d'urgence. On hausse le ton facilement et la moindre contrariété nous agace terriblement. Cela peut être une tempête intérieure que l’on essaie de contrôler, de ne pas montrer. Chez certains, la tempête interne remonte à la surface. Nous voilà victimes de notre système nerveux, que l’on cherchait justement à éviter.
En société, on devient lisses, lisses à tout prix. Oui mais à quel prix ?
Mon rôle en tant que thérapeute, c’est de doucement reconnecter mes clients avec ce monde oublié. Creuser délicatement, avec douceur des tunnels jusqu’au cœur. Et comme une vague qui inlassablement vient lisser le sable, je ramène mon client à son corps, à ce qu’il s’y passe. Ce sont des moments tellement beaux, tellement touchants, d’accueillir ce qui émerge. Je vois alors dans leur regard un soulagement infini : enfin, je suis vu et entendu. C’est un moment sacré dont je me sens honorée.
Si je n’avais pas cette sensibilité, cette empathie, cette capacité à être touchée par l’autre, je baisserais les yeux devant les larmes, la rage ou la colère, je prétexterai une excuse pour quitter la scène ou pire, je ferai comme si je n’avais rien vu, embarrassée devant tant d'effusion. Je ne recule pas devant les émotions, au contraire, je leur fais de la place et ne cherche pas à les modifier. Ma sensibilité voit l’autre, je le reconnais dans son entièreté, dans son unicité, dans ses parts d’ombre et de lumière. Elle lui dit tu es parfait comme tu es. Je t’accueille à l’infini dans tes émotions et je ne détournerai pas les yeux.
Si l’on n’est pas sensible, on n’est jamais sublime. Voltaire